Précurseur, Mathieu Matégot (1910 – 2001) est l'un des acteurs privilégiés du design de l'après-guerre, marquant de son empreinte le style 50's. Personne n'incarne mieux le ludisme, la grâce et l'élégance aérienne des années cinquante, que ce créateur insolite. Son coup de génie fut d’utiliser, avant tout le monde, à partir de 1945, et de façon inédite, la tôle perforée, un matériau découvert pendant sa captivité en Allemagne et qu'il utilisa pour la majorité de ses oeuvres. Il fait breveter et baptise en 1952 cette résille ajourée fine comme de la dentelle, du joli nom évocateur de « Rigitulle ». Véritable géo-trouve-tout, il met au point une machine capable de plier, de plisser, de façonner la tôle à la manière d’un tissu, ce qui lui offre une liberté d’expression démultipliée. Aujourd'hui rééditées, les créations de Mathieu Matégot demeurent intemporelles : des classiques du design !
Né le 4 avril 1910 en Hongrie, Mathieu Matégot possède avant tout un tempérament d'artiste. Il débute comme décorateur au Théâtre national de Budapest après avoir suivi une formation artistique à l'Académie Jaschick et à l'école des Beaux-Arts. Âgé de dix-neuf ans, il quitte son pays pour découvrir l'Europe de l'Ouest, le continent américain et choisit de s'installer à Paris. En 1931, le jeune immigré est étalagiste aux Galeries Lafayette mais parvient rapidement à se faire embaucher chez un éditeur de meubles. En 1933, Matégot dessine, de façon anonyme, du mobilier en rotin dont il est l'un des premiers à remettre l'emploi à l'honneur. En 1939, il s'engage comme volontaire pour combattre l'Allemagne. Fait prisonnier, réquisitionné dans une usine fabriquant des accessoires mécaniques, il est amené à travailler la tôle : le décorateur comprend alors les possibilités offertes par ce matériau.
Naturalisé français à la Libération, Matégot revient à Paris et se lance dans la fabrication d'objets et de mobilier pour la maison. Il fait breveter le rigitule, procédé qui consiste à plier la tôle en accordéon pour en augmenter la résistance. Devant l'immense succès de sa production il ouvre une vraie petite usine à Paris. Les années cinquante sont des années bénies, riches d'expérimentations fructueuses et de créations inattendues. Le style ludique, joyeux et plein de trouvailles de Matégot fait fureur. Corbeilles, porte-revues, petites tables, fauteuils, lampadaires ou appliques... Presque tous sont en tôle perforée ou "Rigitulle", l'invention de cet artiste plein de fantaisie.
À mi-chemin entre le design et la décoration, le mobilier qu'il conçoit traduit une recherche tendant à la création d'un mobilier fonctionnel, pensé avec une économie de moyens et la recherche de formes astucieuses. Les noms qu'il donne à ses sièges traduisent une fantaisie caractéristique de l'après-guerre, Copacabana, Panama, Papillon. Sa chaise à trois pieds, Nagasaki, conçue vers 1950, sera son modèle le plus célèbre. À la tôle qu'il plie et laque en rouge, en bleu, en jaune et souvent en noir , Matégot ajoute des matériaux traditionnels – le bois, le rotin – et des matières plastiques – le skaï, le formica. Ses empiétements sont graphiques, ses lignes, parfois presque graciles, dessinées avec beaucoup d'élégance. Il se passionne pour les jeux de lumière créés par tous ces petits trous, et par ce qui est interchangeable. Des objets insolites, aériens, colorés et pleins de grâce qui sont la signature immédiatement reconnaissable de cet artiste atypique.
Assurant lui-même sa production, Matégot possède par la suite deux ateliers, l'un à Paris qui emploie jusqu'à vingt ouvriers et un second au Maroc, à Casablanca. Cette production qui s'assimile à du mobilier de série est l'une des premières réussites du genre en France. Matégot conçoit aussi des meubles qui ne sont édités qu'à quelques exemplaires. Présent au Salon des artistes décorateurs et au Salon des arts ménagers, il fait également œuvre de décorateur et réalise de nombreux aménagements privés et publics. Ainsi il réalise un des foyers de la Maison de la radio à Paris ou le bar de l'aérodrome de Tit Melin au Maroc.
En 1959, alors que sa société vient de prendre une dimension internationale avec l'ouverture d'un bureau d'étude à Londres, il la cède à ses associés qui vont exploiter celle-ci jusqu'en 1964. Mathieu Matégot choisit d'enseigner à l'école des Beaux-Arts de Nancy, sa vraie passion, la tapisserie, découverte à la veille de la guerre. Matégot impose l'abstraction, faisant basculer dans la réalité de l'art contemporain cet art séculaire bridé par la tradition. S'imposant rapidement comme un maître de la tapisserie contemporaine, Mathieu Matégot attire à lui de prestigieux commanditaires : en France, l'État dès 1950, Radio France, le conseil général de Haute-Normandie à Rouen mais aussi à l'étranger, The Banker Trust Company à New York et le musée de l'Air et de l'Espace à Washington, et la National Library of Australia à Canberra.
Avec la crise économique du milieu des années 1970, le commerce de la tapisserie est lourdement touché ; pour défendre cet art, Matégot interpelle, sans succès, les pouvoirs publics. À ces difficultés s'ajoute un désintérêt du public qui atteint d'une manière durable cet art français. Malgré la création, en 1990, d'une fondation Mathieu Matégot pour la défense de la tapisserie contemporaine, à Bethesda dans l'État de Maryland aux États-Unis, l'œuvre du tapissier ne parvient pas à sortir de l'oubli, alors que son travail de décorateur est reconnu et considéré comme l'une des premières réussites françaises dans le domaine du mobilier métal.
Pays : Hongrie