Encore méconnu du grand public, Marcel Gascoin (1907-1986) est pourtant bien présent dans les mémoires de tous les passionnés de design. Dans le tournant de l’après-guerre, c’est le révolutionnaire qui bouleverse les codes du mobilier et de l’habitat. Il est réputé pour avoir inculqué aux designers le courant rationaliste social. Porté par la conviction de l’importance de la fonctionnalité, il a tout au long de sa carrière proposé un équipement en série, un mobilier minimaliste en bois ainsi qu’un aménagement composé d’éléments modulaires faciles à intégrer. La chaise Stuhl (1950), la table Marguerite (1950) et le tabouret Trèfle (1950) sont des meubles reconnus du designer.
Marcel Gascoin formera les grands noms du design français : Mortier, Guariche, Motte, Richard et bien sûr Paulin. Son héritage est certain. Sa reconnaissance l’est moins. Acclamé pour son rôle vital dans la reconstruction de la France après la guerre, celui qui n’a cessé de bouleverser les codes du mobilier a, tout au long de sa carrière, discrètement apporté un regard novateur et indéniablement percutant dans l’univers du design. Désintéressé par l’idée de produire pour les musées, Marcel Gascoin préférait de loin venir en aide aux français démunis. Ironie du sort, ses travaux ne seront redécouverts et appréciés à leur juste valeur par les collectionneurs et designers à travers le monde que bien plus tard.
Né dans une famille de marins au Havre en 1907 (quartier du Perrey), ce diplômé des Arts Décoratifs revendique ses influences maritimes : les cabines de bateau notamment sont fondatrices de sa réflexion sur l’habitat moderne. « Ce sont mes premiers compagnons, les bateaux, qui m’ont révélé le sens de l’aménagement et de l’organisation d’une maison, confie-t-il en 1963. »
Très vite remarqué par ses pairs, il est invité à la première exposition de l’Union des Artistes Modernes en 1930 par l’architecte Mallet-Stevens. Rapidement, il en devient l’un des membres avant d’être nommé au comité directeur après-guerre, en 1945. Car la guerre bouleverse tout. Réfugié dans le Midi, son ascension parisienne est suspendue. Il profite de cette parenthèse imposée pour aiguiser ses concepts quant à l’approche rationnelle.
A la fin de la guerre, la France est libre mais ruinée, dévastée. L’époque n’est plus aux fastes mais au pratique. L’habitat se rationnalise et les appartements se multiplient. Son constat est simple : le mobilier proposé aux Français n’est pas adéquat. C’est un mobilier d’apparat, artificiel et clinquant qui ne connaît pas la contrainte de l’humain. On reçoit avec mais on ne peut vivre dedans.
Il faut réinventer un nouveau mobilier qui soit une nouvelle façon de vivre : plus libre mais avec moins d’espace. Les idées de Marcel Gascoin vont faire mouche. Au service de l’homme et inspirées des cales de bateaux, ses créations misent sur la modulation. Chaque meuble s’adapte à son environnement et à son utilisateur au moyen de pièces mobiles. Une nouvelle grammaire naît : on ne parle plus de tiroirs ou d’étagère mais d’éléments-tiroirs, d’éléments-étagères, voire de caisson. Monsieur et Madame deviennent des usagers. La maison, une cellule. Une pièce, une alvéole. Partout, s’établit une nouvelle règle, une unique norme : l’humain. L’homme est le maître-étalon.
Lit escamotable, table à repasser encastrée dans une cloison-rangement, tringles fixées à une porte de placard pour suspendre les ustensiles, casiers à bouteilles ou à pain, les appartements témoins que Marcel Gascoin expose dès 1947 sous l’égide du Ministère de la Reconstruction et de l’Urbanisme rivalisent d’inventivité pour optimiser et rationaliser la vie de famille. En témoigne son grand œuvre, le Mur Gascoin : une cloison modulable, extensible à l’infini qui permet de ranger à la verticale et de libérer la surface au sol aujourd’hui comptée. Car le souci premier de Marcel Gascoin, c’est le rangement à savoir l’optimisation, la rationalisation de l’habitat pour démultiplier les espaces de vie dans un habitat moderne réduit de fait par les contraintes sociales et architecturales. Ainsi, inscrit-il en guise de manifeste à l’entrée de son stand du Salon des arts ménagers de 1952 : « La Ruée vers l’Ordre ».
Son talent pour créer des pièces modernes et sa volonté de proposer des pièces accessibles au plus grand nombre lui confèrent une réelle renommée. Père de la production en série, il n’a pourtant pas pu la mettre en pratique et s’est heurté aux limites techniques de son époque. Cet engagement radical pensé pour tous ne touchait pourtant qu’une catégorie sociale élevée. Médecins, avocats, universitaires composaient l’essentiel de la clientèle du designer visionnaire. Des gens de goût, cultivés qui percevaient l’envergure de son projet. A tel point qu’avoir du Gascoin chez soi était une marque de sophistication.
Limité et précieux, son mobilier est aujourd’hui recherché par les initiés, les amateurs de meubles-témoignages, d’œuvres de la pensée et de la réflexion plus que de la mode et de la décoration.
Pays : France